118 - Le désordre, c’est typiquement quelque chose qu’on ne photographie pas assez - Claude Baechtold
Afghanistan, 2002. Trois jeunes reporters montent dans une voiture pour un périple qui va changer leur vie à tout jamais. Serge, un journaliste moraliste et bourreau de travail, Paolo, un photographe aussi jovial qu’inconscient, et Claude, un typographe suisse froussard qui s’improvise cinéaste.
Et aujourd’hui, je vous invite dans l’oeil de Claude, qui, vingt ans après, a retrouvé les cassettes de ce périple (une histoire que vous découvrirez en regardant le film) et en a fait un témoignage touchant de son évolution personnelle, au moment où le monde vit un énième grand conflit, et juste avant que la photographie ne s’apprête à changer radicalement de cap. Claude qui, par son absence de tout formatage, découvre la liberté de faire sans contraintes, se trouve une nouvelle famille alors qu’il fait le deuil de la sienne, et devient, presque par accident, un vrai artiste.
Cet épisode est une ode à l’absence de maîtrise, et par bien des aspects il est libérateur, parce que la grande leçon de tout ça, c’est que bien entouré et sans la peur de mal faire, on ne peut que bien faire les choses. Et des photos, beaucoup de photos, de tout et de rien, qui auront tôt ou tard, un sens.
Bienvenue dans l'oeil de Claude Baechtold.
A propos de l’invité:
Legos de l’épisode:
J’ai mis du temps à comprendre que de tous les gens qui étaient autour de moi, de mes amis, de ma famille, moi mon job c’était de raconter les histoires.
J’accumule de l’information, et à un moment donné, je comprends que mon travail ça va être de raconter l’histoire… le récit historique de ce que je vis, c’est moi qui vais le raconter.
Mon job en Afghanistan, j’enregistrais ce qu’il y avait autour de moi pour le raconter plus tard. Je savais pas trop comment, mais cette manne d’information extraordinaire…
J’ai jamais volé d’image, je sais pas voler d’image en fait.
A 25 ans, j’ai perdu mes parents, j’étais un peu déboussolé, je suis dans un univers très cadré, et tout d’un coup Serge m’a emmené en voyage en Afghanistan, et là je suis entré dans un autre univers. Je suis entré dans le monde du dilettantisme, parce que j’avais un métier que je maîtrisais extrêmement bien… et tout d’un coup j’ai découvert la liberté dans la photographie, le voyage, et finalement le cinéma. Et je me suis trouvé bien dans un monde que je maîtrisais pas.
J’ai pas du tout cette approche de faire la photo parfaite, celle qui raconte tout.
J’ai toujours travaillé en équipe, j’aime les collectifs.
Mes photos, je les ai jamais vues comme des accomplissements individuels, plutôt comme un vocabulaire, comme des mots qui allaient construire un roman.
J’aime beaucoup cette approche là, de se laisser entrainer, de pas tout maîtriser au début.
Notre seul job (D’artiste - NDR), c’est de pas avoir peur. Pour moi c’est ça la liberté… La peur de pas plaire, la peur de ce que vont penser nos parents, toutes ces peurs qui font qu’on est pas libres d’explorer vraiment des territoires intéressants.
Ils auraient pu faire des photos de choses plus anodines (Ses parents - NDR)… Ça m’a appris à photographier tout ce que je pensais ne pas être important.
Le désordre, c’est typiquement quelque chose qu’on ne photographie pas assez.
Pour moi, c’est comme un journal de bord la photographie. Je sais pas encore ce qu’elle va raconter, mais dans mon vocabulaire pour mon roman, il faut que j’aie les bons mots, et j’aimerais pas qu’il me manque ces mots.
J’aime ces petites histoires drôles que j’aimerais mettre à mon catalogue.
La bonne photo c’est celle qui existe… il y a la bonne photo pour le lendemain que le journal va publier, il y a la bonne photo pour dans 10 ans, quand nos enfants seront grands et partis de la maison, il y a la photo pour dans 50 ans quand nos petits enfants vont découvrir ça, puis dans 5 siècles, quand les archéologues trouveront nos photos, elles auront une autre valeur.
Il n’y a pas de danger à faire exister une photo.
Dans l’aviation je serais plutôt un planeur: une fois que je voyage, une fois que je suis lancé, c’est bon, je prends les courants, et c’est comme ça que je voyage… Serge c’est un avion à moteur, il sait toujours où il va, il se laisse pas tellement influencer par les gens. Par contre, il faut décoller, quand on est un planeur on décolle jamais, il faut un avion pour nous faire décoller, et lui c’était mon avion.
Les journalistes font ce job là. Le journaliste, il est pas là pour passer des bonnes vacances, il est là pour chercher des informations, et aller les chercher même quand les gens ne veulent pas les donner… les bons journalistes, c’est pas des gens qui passent la pommade.
Quand on sait pas raconter d’histoire, il y a un truc très simple, c’est de se mettre à table et de raconter l’histoire à trois personnes en face de soi. C’est le truc le plus efficace en termes scénaristiques.
Ce que j’aime c’est l’économie de moyens et la force du résultat.
En réalité, le monde des photographes, c’est un monde très solitaire. Moi j’aime pas travailler seul.
Les photos, d’abord je les prends puis ensuite je les découvre, et ensuite je me demande où je vais les placer dans l’histoire.
Je ne réfléchis pas beaucoup avant de prendre la photo, la seule réflexion que j’ai, c’est « je pense qu’il faut la faire ».
La quantité avant la qualité: C’est la quantité d’images qui va raconter l’histoire. Accumuler les images et les faire fonctionner entre elles, ça m’a permis d’être complètement libre.
En typographie, j’étais tellement bien formé, j’avais eu des profs tellement extraordinaires que j’étais prisonnier… Pour moi, le dilettantisme c’est une forme de liberté.
Ce qui est drôle, c’est que j’étais un caméraman imposteur dans le pays où on se méfie le plus des caméramans imposteurs, parce que le commandant Massoud a été assassiné par un caméraman qui était un taliban déguisé en caméraman et qui avait mis une bombe dans sa caméra.
Une photo sur 10 (du Olympus Mju II - NDR) est out focus, ce qui est super parce que ça laisse place à l’accident.
Le syndrome de l’imposteur, je l’ai eu à mon retour, parce que j’étais pas photographe, j’avais pas de place dans le monde de la photographie, j’étais pas dans le monde du journalisme, je racontais des histoires qui étaient l’Afghanistan, et il y a des prés carrés comme ça. J’ai mis du temps à prendre ma place en Suisse comme raconteur de voyage.
Quand on rentre de voyage, on est un un peu un extra terrestre en fait, et on essaie de retrouver une place.
Moi j’aime les photographes, presque plus que la photographie en fait… Je trouve que c’est des personnages intéressants, c’est un peu des personnages tragiques. Ils sont investis d’une mission puis ils la tiennent quoi qu’il arrive, et c’est dur.
Ça change tout quand il y a un témoin.
Tout le monde est allé en Afghanistan pour sauver l’Afghanistan, moi c’est l’Afghanistan qui m’a sauvé.
On doit des choses en tant que photographe, on doit des choses aux gens qu’on photographie, on doit des choses aux pays qu’on visite, aux voyages, aux gens qu’on côtoie. On est remplis de dettes en fait.
C’est pas très juste d’aller profondément dans l’intimité des autres sans présenter la sienne.
On ne peut pas faire de bonnes photos si on a peur de ce qu’on photographie… Si le photographe a peur, la photo sera très différente.
Le narrateur fait partie de l’histoire.
Moi, mon premier job, c’est d’arrêter d’avoir peur… puis ensuite, raconte ton histoire.
C’est marrant, quand on revit un voyage 20 ans plus tard, il y a des photos qu’on avait mis de coté qui tout d’un coup nous racontent beaucoup plus que celles qu’on avait sélectionnées.
C’est une transmission la photographie, ça a remplacé les lettres, la correspondance.
Dans cet épisode, on parle de:
Franck CAPA ;-)
Recommandation d’invité: Paolo Woods et Bénédicte Courtson
A propos du Podcast:
Hôte: Julien Pasternak - Instagram - LinkedIn - Clubhouse
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Générique d'intro: Joakim Karud (https://soundcloud.com/joakimkarud)
Générique de fin: Dyalla Swain (http://soundcloud.com/dyallas)