070 - Je ne me sens pas autant animalier que portraitiste - Laurent Baheux
Laurent Baheux a quitté Paris et la photographie sportive pour les grands espaces, la nature, et le portrait animalier. Nous allons aborder ensemble la nécessité de bien communiquer, celle d'être toujours prêt, le taux d'échec pour obtenir une photo réussie, mais on va aussi parler du message derrière la photo, et de la façon dont il se construit.
Dans cet épisode, on parle
de Serendipity et du fait que le monde est tout petit,
De rester fidèle à son histoire photographique (NB),
de revenir à ses premières amours (photo de sport),
d'aider les autres à devenir meilleurs pour devenir meilleur soi-même,
du 1% pour la planète,
des caractère des animaux,
de contraste,
de Sylvain Wiltord pendant la finale France-Italie de l'Euro 2002,
de rafale surprise,
de corder les raquettes et de le faire de mieux en mieux,
de construire son message plutôt que de le trouver,
mais surtout, on parle de savoir-faire, de faire savoir, et de tout ce qui se trouve entre les deux.
Bienvenue dans l'oeil de Laurent Baheux.
LEGOS DE L'ÉPISODE:
Le monde est tout petit, on s'aperçoit qu'en fait c'est un village, et quand tu parles photos, tu restreins le cercle et tu t'aperçois qu'entre passionnés, tout le monde connait tout le monde.
(Sur l'elevator Pitch) Grosse pression, ça m'est jamais arrivé ça. Heureusement d'ailleurs...
Un peu lassé de la vie citadine, des grands stades, des comportements humains un peu excessifs, je me suis tourné vers les autres espèces qui habitent cette planète, et pour mon plus grand plaisir ça fait 20 ans que je photographie la grande faune, les grands mammifères.
Quand tu es à Paris et que tu travailles pour les grand medias comme je le faisais, ça s'arrête jamais, l'actualité sportive c'est un peu un rouleau compresseur, les évènements s'enchaînent les uns après les autres et c'est vrai que tu peux être amené à saturer et à une certaine lassitude, à une certaine routine, même si c'est génial de participer à tous ces évènements en tant que spectateur privilégié... Mais c'est aussi beaucoup de travail, beaucoup de pression.
Le terrain sportif, ça a été une école géniale, je suis totalement autodidacte.
J'ai commencé par vouloir écrire, je voulais raconter les évènements sportifs... j'ai proposé mes services à un quotidien départemental à Poitiers, et de fil en aiguille ils m'ont demandé de faire des photos parce qu'ils avaient pas de gros moyens... ça a commencé comme ça.
Je me suis fait prêter un appareil et puis j'ai du tout apprendre rapidement, parce que j'avais quand même un peu d'orgueil et de fierté et que, quand tu vois, lundi matin, les photos signées de ton nom, et quand c'est flou, t'as honte quoi...
Je ne me sens pas autant animalier que portraitiste, animaliste.
Quand je vois ce que des lanceurs d'alerte qui passaient pour des illuminés commençaient à pointer du doigt (dans les 70's - NDLR), on a eu 1/2 siècle d'accélération phénoménale et de destruction phénoménale du vivant sous toutes ses formes, animale ou végétale, et je paierais cher pour revenir 50 ans en arrière pour retrouver l'état de la planète tel qu'il était.
J'ai l'impression que la scène est composée pour moi et que j'ai ce privilège de pouvoir saisir ce que la nature m'offre, des petits tableaux qui sont déjà là. C'est Cartier-Bresson qui disait "les images sont là, il n'y a plus qu'à les saisir."
C'est la nature qui fait le boulot, il n'y a plus qu'à déclencher... tout l'art consiste à voir ces moments là, ces cadrages là, mais c'est là, j'invente rien... tu ne fais que retranscrire ta vision de ce qui se passe sous tes yeux.
On photographie la même chose parce que l'être humain est le seul animal à penser qu'il n'est pas un animal.
Comme on le fait avec des êtres humains, tu as envie de montrer de la personnalité et du caractère de la personne, c'est pareil avec les animaux. En plus ils ne vont pas jouer un rôle ou tricher, ils sont complètement natures et authentiques.
On est une espèce qui a bien réussi, mais qui se sert de sa réussite pour dominer tout le reste du vivant. C'est là que j'aime bien questionner, est-ce que ça a vraiment un sens, est-ce que c'est éthique et tolérable?
Je cherche à montrer la beauté de ces espèces et la richesse qu'elles représentent.
J'anticipe pas énormément les choses en fait, je suis plutôt un opportuniste et j'y vais vraiment au feeling...Je dois avoir une bonne étoile parce que jusque'à présent ça m'a bien réussi. Et justement, j'aime pas avoir le contrôle total sur ces paramètres là, j'aime laisser une place à la chance, au hasard, et je me suis aperçu que c'est comme ça que j'arrive, le plus souvent, à sortir des choses qui moi, me surprennent un peu.
Je pense que c'est essentiel, ne pas tout mettre sous contrôle, parce que à un moment tu te formates à quelque chose de trop convenu, de trop attendu, et le risque c'est de reproduire ce que tes prédécesseurs ont déjà fait, parce que tu sors pas du cadre et tu te surprends pas, donc il y a peu de chances que tu surprennes les autres. Moi j'aime me donner cette part de liberté.
"Surprends toi, arrête de te mettre des barrières. Les choses convenues, tout le monde sait les faire, lâche toi, expérimente, j'attends rien. " (Michel Birot, son mentor - NDLR). Ça, ça a été une école incroyable, ça a vraiment conditionné ma vision des choses aujourd'hui.
Après il s'agit de se mouiller un peu parce que du coup, il faut sortir de sa zone de confort et se mettre un peu en danger en acceptant de rater, mais c'est là que tu t'aperçois qu'au milieu de tous les échecs, tu vas peut-être sortir une photo différente. Il suffit d'une, une photo d'exception, et ça vaut la peine d'essayer.
Quand tu es passionné et que tu poursuis un but, voire une quête, tu te rends pas compte du temps que tu y passes en fait.
J'ai raté plus d'images que je n'en ai réussi. Souvent les gens me disent "vos images elles sont sympa", mais vous avez pas vu toutes celles que j'ai raté.
J'attends rien mais je suis prêt à tout, je suis prêt à saisir ce que la nature voudra bien m'offrir, et en même temps il faut accepter que ça peut ne pas arriver et tant pis, j'aurai quand même passé un bon moment. C'est ce qui fait tout l'intérêt, c'est que je suis pas du tout sur de sortir une image. Tu rentres bredouille et tant pis, ça fait partie du jeu.
(Sur les rafales - NDLR) Si tu fais une seule image et qu'à chaque fois c'est la bonne, t'es vraiment très fort.
La différence entre une bonne photo et une photo d'exception elle est minime, l'instant décisif peut se jouer à une fraction de seconde.
Je suis pour ainsi dire toujours prêt, la technique pour moi c'est pas trop un problème, après ça me permet de me concentrer sur le reste, sur l'émotion, sur les cadrages, sur l'image, sur l'instant, la lumière...
Faites des photos quoi, il n'y a rien de mieux que pratiquer, tout s'apprend en pratiquant, la meilleure école c'est la pratique... Accessoirement regardez les pour voir ce que vous avez réussi ou raté, c'est mieux pour apprendre.
On apprend toujours en photo.
Le sens s'est construit au fur et à mesure que j'accumulais les images et les voyages, avec une prise de conscience qui va avec, et aujourd'hui je me vois pas balancer mes images sans leur donner un sens, sans balancer mes convictions et essayer de faire passer un message.
(Sur le message derrière les photos - NDLR) Au fur et à mesure de ma prise de conscience et des prises de vue, ça s'est construit en parallèle et ça n'a fait que se renforcer au fil du temps... ça fait partie d'un cheminement, au fur et à mesure que tu avances sur le chemin tu découvre des choses et tu es attiré plutôt par le chemin de gauche ou celui de droite, tu fais des choix qui vont te conduire tu sais pas forcément tout de suite où, mais au fil du temps tu affines et ça donne un sens à ta démarche.
Du matériel performant va évidemment aider à créer de belles images, mais si ça suffisait ça se saurait.
J'avais pas imaginé pouvoir toucher les gens à ce point en fait, de manière très égoïste je me disais moi je fais des images qui me plaisent et je passe du bon temps, et puis je stocke ça sans me dire ce que j'en ferai un jour. Montrer mon travail, le partager à travers des expositions, oui ça m'a ouvert quelque chose de nouveau, en découvrant que je pouvais effectivement intéresser des gens à tout ça.
(La transition sport->nature - NDLR) Ca s'est construit sans vraiment l'avoir cherché à la base et ça s'est fait très naturellement et en douceur.
Ce que peu comprennent dans la photo, c'est qu'il y a le savoir faire, j'en connais plein d'excellents photographes qui font des choses remarquables, mais il y en a peu qui comprennent qu'il y a aussi le faire savoir, et le faire savoir est au moins aussi important que le savoir faire... Tout le nerf de la guerre est là, tu peux être le meilleur photographe du monde, personne viendra te chercher si tu montres pas ton travail, si tu le proposes pas, si tu communiques pas dessus.
DANS CET ÉPISODE, ON PARLE DE:
Cette photo:
Recommandation d’invité : Matthieu Forget - Forgetmat
A propos du Podcast:
Hôte: Julien Pasternak - Instagram - LinkedIn - Clubhouse
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Générique d'intro: Joakim Karud (https://soundcloud.com/joakimkarud)
Générique de fin: Dyalla Swain (http://soundcloud.com/dyallas)