054 - La photo de plateau est là pour donner envie - Christophe Brachet
Vous avez tous déjà vu le travail de Cristophe Brachet, mais vous ne le savez sans doute pas. Photographe de plateau et ambassadeur Sony, il a réalisé les photographies de nombre de grands films sortis depuis 10 ans, et ce sont ses images que vous voyez s’afficher dans les magazines et sur les affiches de (excusez du peu) OSS 117 et le prochain Astérix & Obélix.
Dans cet épisode, on parle :
de reproduire la Chine en région Parisienne,
d’être un chat, y compris du Rabbin,
De photogrammes,
du futur,
du fameux “ton appareil fait de très belles photos”,
de noir et blanc,
d’être instinctif,
de pluridisciplinarité,
de faux-culs,
d’être invisible,
de machines de guerre qui parlent Anglais,
d’Histoire avec un grand H,
d’immédiateté,
de gens exigents et de ceux que ça ennuie,
Mais surtout, on parlera de ce que ça fait de se faire à la fois offrir et jeter des fleurs par Isabelle Adjani…
Bienvenue dans l'oeil de Christophe Brachet.
LEGOS DE L'ÉPISODE:
Avec les effets spéciaux, on peut faire beaucoup de choses maintenant, donc c’est pas forcément simple pour moi … mais j’arrive toujours à sortir quelque chose.
Notre métier est un peu en danger à cause de ce qu’on appelle les photogrammes, c’est à dire les copies écran de la camera.
Ce qu’il faut comprendre c est qu un film est tourné en 24 images par seconde, un metteur en scène réfléchit avec du mouvement, avec une caméra qui bouge, avec une mise en scène qui va vraiment être dans le mouvement. Alors qu’un photographe, c’est une image arrêtée, ce n’est absolument pas la même façon de voir les choses.
La photographie et le photographe, l’oeil du photographe, seront beaucoup plus exigeants et sortiront des choses largement meilleures, mais pour ça il faut avoir cette culture là.
Si on défend une certaine qualité, si on a une certaine exigence de l’image, on doit encore prendre des photographes plateau pour cette raison là. Pour éduquer aussi l’oeil du grand public.
Souvent on a tendance à me dire “tu as le dernier boitier Alpha, tu dois faire des super photos avec”.
Tous les films que je fais, j’ai la meilleure caméra du monde, est-ce que c’est pour ça que le film qu’on va faire va être un des meilleurs films du monde?
C’est comme un pilote de formule 1, il y a un vrai talent de conduite. La voiture est importante, mais le talent du pilote est plus important.
Ma façon de travailler est très instinctive, et quand j’ai commencé à travailler sur un plateau de cinéma, quand on m’a laissé ma chance au bout d’un an à Paris, tout a été fait avec instinct.
J'étais fan de jazz, j’allais dans des boites de jazz faire des photos de vieux Jazzmen.
Je crois beaucoup en la pluridisciplinarité: quelqu’un peut faire plein de choses, de la photo, du podcast, de la cuisine, et tout va servir pour être bon dans son corps de métier, toutes les expériences sont bonnes à prendre.
A la lecture du scénario, les jours où je vais être présent, je sens déjà les émotions qui vont m’intéresser.
…être surpris aussi, parce que malgré qu’on ait eu un scénario, malgré les mises en scène, on a toujours quelque chose qui peut nous surprendre sur un plateau de cinéma.
Il y a toujours une part de surprise, et c’est ça qui est intéressant dans notre métier.
Dans ma façon de fonctionner, moi personnellement, je suis invisible.
La marque de fabrique de beaucoup de photographes de plateau, c’est d’être un vrai chat, c’est un énorme avantage sur un tournage.
Des fois (les techniciens - NDLR) sont confrontés à des photographes qui ne sont pas discrets, et c’est vraiment pénible.
C’est toute la difficulté de ce métier, c’est d’arriver à trouver sa place sans gêner personne, et d’être dans un axe qui va être intéressant pour faire une photo, sachant que le meilleur angle est souvent pris par la caméra.
J’ai tendance à dire “le meilleur axe est pris par la caméra pour le mouvement, donc on peut toujours se dépatouiller pour avoir un bon axe et on peut toujours demander à ce qu’une scène soit refaite pour la photo”.
Je dois respecter la ligne éditoriale (du réalisateur - NDLR), mais on me laisse toujours beaucoup de liberté parce que souvent l’image d’un film n’est pas faite pour de l'édition… si le film est très dark et sous-éclairé, ça ne va pas fonctionner si la photo sort dans Paris Match parce que ce n’est pas un papier d’art.
L’importance d’un photographe plateau, c’est qu’il réfléchit toujours en termes de marketing et de comment l’image va être utilisée.
La photo de plateau, elle est là pour donner envie. Si on est pas tout à fait dans l’ambiance lumineuse du film…, on ne nous en voudra pas.
Une photo doit surprendre, et la première chose qui doit surprendre c’est l'émotion qui la traverse.
J’ai souvent vu des sélections de photo qui n'étaient pas les meilleures.
Les anglo-saxons sont des machines de guerre sur la communication, nous on est encore à des années lumière de ce qu’ils peuvent faire.
C’est dommage sur certains films de ne pas avoir d’images de qualité.
Regardez à la mort de Jean-Paul Belmondo, le nombre de belles photos qu’il y avait de lui, on aura pas ça sur un film comme OSS 117 et c’est bien dommage.
La photographie de plateau sert aussi pour l’histoire du cinéma.
Quand il y a en face des machines de guerre avec des super visuels et des super photos, on ne peut pas mettre un photogramme flou.
On est tous responsables de ce qui se passera dans le futur, c’est notre responsabilité pour nos enfants.
On a tous vécu de retrouver des photos de famille super vieilles et d’être très heureux de les avoir.
Moi je suis connu dans le milieu du cinéma pour ma discrétion, et d’être capable dans cette discrétion là de sortir des clichés qui sont dans l'émotion du film.
J’ai ma façon à moi de travailler, c’est une façon très particulière, je ne dis absolument pas que c’est comme ça qu’il faut faire, mais j’ai ma façon de faire ou je travaille quasiment sans aucune retouche.
Je défends cette idée dans la photo de dire qu’on est encore capables, de nos jours, de faire de bonnes photos sans photoshop.
Avant, ce qui me frustrait dans mon travail, c'était que je faisais des photos qui étaient vues 6 mois après le tournage par les acteurs pour être validées, et donc ils vont aimer ou pas aimer, mais s’ils n’ont pas aimé c'était trop tard.
On a la chance d’être dans un monde où les réseaux sociaux sont développés, utilisons les de manière intelligente.
Xavier Dolan, je sais qu’il est très exigeant sur ses photos et sur ses affiches, eh bien je suis désolé mais ça se voit.
C’est génial d’être en face de quelqu’un qui est aussi exigeant (Isabelle Adjani - NDLR), parce qu’elle vous pousse dans vos retranchements, mais effectivement pour quelqu’un qui peut être un peu feignant, il va peut-être trouver ça chiant. Pour moi c’est l’excellence.
J’entends souvent des gens qui disent “j’ai vu les rushes hier, c’est magnifique".Des fois, je vois le film à la fin, je me dis “comment on a pu dire pendant 2 mois que les rushes étaient magnifiques quand je vois le film que c’est?”… c’est extrêmement faux-cul quand même.
Moi j’aime la diversité en fait. Je sais que dans les photos posées je suis moins bon, donc je m’y mets, je me force, et c’est ça qui me plait dans mon métier, cette variété, il n’y a pas deux journées qui se ressemblent.
C’est un vrai acte de création la photographie, et c’est en ça qu’on doit faire confiance à un photographe, parce qu’il a un regard sur un film et ça c’est pas assez mis en valeur en fait.
Un des problèmes du cinéma, c’est qu’on a des gens qui savent produire du cinéma, mais qui ne savent pas le vendre.
Sur un plateau de cinéma (il y a beaucoup de monde), il n’y a que des entraves à faire de la photo.
La priorité c’est le film, et un bon photographe plateau, on sait que c’est pas la priorité mais on sait qu’il va ramener de bonnes images.
Pour moi un bon photographe, c’est se dire “il nous a pas pris la tête et il nous ramène de belles photos, et par contre il a su s’imposer au moment ou il fallait qu’il s’impose."
(sur les tarifs - NDLR) Il faut lutter, j’ai souvent tendance à dire que c’est une lutte pour préserver ce métier et les générations futures. Si on ne lutte pas maintenant, les jeunes de demain n’arriveront pas à travailler.
C’est très important d’avoir ce discours là tourné vers l’avenir, parce qu’on sera responsables de ce que vont vivre nos enfants dans 30-40 ans, et qu’ils nous en voudront à mort parce qu’on leur laisse un monde de merde.
J’ai envie (de faire de la mise en scène - NDLR), mais j'ai peur, mais je me soigne.
"On ne m’avait pas photographiée comme ça depuis La Reine Margot” (Isabelle ADJANI)
DANS CET ÉPISODE, ON PARLE DE:
Ces photos:
Andrew Cooper (le photographe de plateau de Quentin Tarantino)
Recommandation d’invité: Laurent Baheux
A propos du Podcast:
Hôte: Julien Pasternak - Instagram - LinkedIn - Clubhouse
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Générique d'intro: Joakim Karud (https://soundcloud.com/joakimkarud)
Générique de fin: Dyalla Swain (http://soundcloud.com/dyallas)