065 - La photographie, c'est une parcelle de réalité, mais c'est jamais la réalité - Corentin Fohlen

 
 

J'ai découvert Corentin Fohlen à travers son livre le plus récent, dans lequel il fait un incroyable portrait d'un personnage hors norme, son Oncle. Mais Corentin, c'est aussi un photographe engagé, hyper productif, qui touche à tous les domaines, et qui a toujours un message à faire passer à travers ses images.

Dans cet épisode, on parle

  • de faire de la provoc par l’humour,

  • du caractère des gens hors normes,

  • de l’ennuyeuse vie des Photoreporters,

  • d’être insatisfait chronique de son propre travail,

  • de se rebooster après le coup de blues,

  • de l’accumulation d’images qui fait des séries photo,

  • de pouvoir dire merde,

  • du tourisme de la misère et de la charité,

  • de l’aboutissement que représente un livre,

  • De faire un travail basé sur la réflexion et l’engagement plutôt que sur l’actu,

  • de la difficulté de faire quelque chose de simple,

  • du portrait comme un duel,

  • Mais surtout, vous allez découvrir pourquoi le pire moment de la carrière de Corentin, c’est moi…

Bienvenue dans l’œil de Corentin Fohlen.


A propos de l’invité: Corentin Fohlen

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LEGOS DE L'ÉPISODE:

  • Steve Jobs: J’essaie de faire son portrait parce qu’en ce moment je fais beaucoup de portraits, et que j’essaie de plus en plus de faire le portrait des gens de pouvoir

  • Je suis assez fasciné par ce genre de génies, au sens ils sont géniaux, ils sont exceptionnels.

  • Pour être hors normes, il faut l’être aussi dans les relations humaines… j’ai compris qu’il fallait passer facilement outre le caractère des gens quand on s’intéresse à des personnages. Tu ne peux pas leur demander d’être comme tout le monde.

  • C’est à la fois de la provocation, parce que je sens bien que je n’ai pas un métier commun, et en même temps, quand je le vis au quotidien… il y a tout un travail professionnel, je passe 90% de mon temps à tout faire sauf de la photographie.

  • Finalement, le déclenchement, les quelques fractions de secondes sont assez rares, donc c’est à la fois passionnant, et ça peut parfois, quand on le fait au quotidien, finalement, être banal.

  • Je suis quelqu’un qui est insatisfait chronique dans ce je je fais, et ça ne me convient jamais.

  • J’ai tout le temps l’impression que c’est pas extraordinaire, quand je regarde d’autres photographes je me dis « Putain, voilà, c’est ça être photographe, moi qu’est ce que je fous? ».

  • Il faut arriver à se dire « c’est pas mieux, c’est différent ».

  • C’est moteur en fait… Moi ça me bloque pas, ça me déprime cinq minutes et puis après ça me booste sur la journée.

  • Parfois j’ai pas envie de regarder (le boulot des autres), déjà parce que ça me déprime parce qu’il y a tellement de bons photographes maintenant, qui ont tous 20 ans et qui viennent tous du fin fond de la planète et que du coup si tu regardes vraiment les choses de qualité, moi ça me déprime… Je regarde un minimum et je me dis OK, maintenant c’est à toi de te bouger!

  • (Sur Haiti) Je sentais que c’était un énorme évènement d’actualité, qu’on allait en parler suffisamment longtemps pour que même en arrivant en retard les journaux soient toujours potentiellement intéressés par mes images, parce que c’est aussi une économie où quand tu finances tout, ben t’es obligé de penser au retour sur investissement,

  • J’avais un mois, j’ai commencé à explorer à la fois le pays et une nouvelle manière de travailler. Pas forcément photographier tous les jours, rencontrer les gens, aller à des évènements culturels, politiques, économiques, et à m’interroger, à prendre du recul, construire aussi un travail qui finalement s’est fait petit à petit sur plusieurs années.

  • On peut couvrir un évènement sans être engagé, on peut être pour ou contre ou neutre.

  • Le premier travail était engagé, après il s’est enrichi de plusieurs travaux, de plusieurs tentatives, parfois artistiques… une autre manière de photographier avec un autre processus qui je trouve fonctionnait bien.

  • L’accumulation fait la force parfois du message… La quantité accentue un impact visuel.

  • D’utiliser un procédé très froid, très systématique, sans aucun sentiment,sans état d’âme, sans émotion… vraiment une mise à distance, pour moi ça participait à l’efficacité du message.

  • Moi j’ai un esprit de contradiction systématique,donc si tout le monde le fait j‘ai pas envie de le faire, je rejette avec un dédain total en disant “Non mais moi je m’abaisserai pas à faire comme tout le monde, c’est ridicule” … et du coup j’ai réfléchi et je me suis dit quand même c’est intéressant cette manière d’exhiber son enfant.

  • Un enfant, t’es obligé de négocier, c’est comme les dictateurs, tu peux pas tout le temps être contre.

  • (Sur les gens qui montrent leur enfant sur les réseaux) Je me suis dit au contraire, je vais en faire des caisses.

  • (Sur son fils) pour l’instant il croit encore que c’est normal d’avoir un Papa avec un appareil photo greffé sur l’œil toute la journée.

  • Tous mes travaux, il y a un message, un engagement, il y a mes idées un peu aussi derrière.

  • Tu peux dire merde, je sais pas pourquoi quand on dit merde, on met m…

  • Engagement, ça peut paraître prétentieux, c’est pas forcément un engagement qui porte très loin, mais derrière effectivement il y a une idée presque politique au sens où il y a une réflexion. Moi ce qui m’intéresse dans la photographie, au delà de la création d’une image, d’un reportage, d’une série, c’est qu’est ce que ça porte derrière, quelles sont les valeurs.

  • (Sur son reportage sur des militants Tunisiens) ce reportage qui raconte leur parcours et leurs galères, c’est aussi une manière de les soutenir et de soutenir leur engagement, leur message.

  • (Sur les messages qu’il veut faire passer, dans ce cas là sur les sans abris) Tout ça, je l’écris pas, je le dis en photo, en essayant que ça pousse d’autres personnes plus à même à se bouger.

  • Je suis engagé, pas militant. J’ai du respect pour les militants, mais quand on est militant, on va plus loin… Je ne suis pas militant parce que je ne fais pas partie de l’asso et je ne prends pas les armes, mais je suis engagé dans le sens où mon regard va appuyer de plus en plus vers des combats que je soutiens, ou que j’ai envie de mettre en lumière.

  • En dessin, plus le trait est simple et épuré, plus c’est compliqué de le réaliser. Plus on commence à griffoner, on fait plein de détails, c’est qu’on sait pas où aller, on patauge, on s’aide avec toutes ces lignes qu’on crée.

  • La simplicité en images, c’est aussi l’efficacité.

  • Quand on m’envoie faire un portrait, c’est souvent lié à une interview, et le journaliste prend rendez-vous par rapport à ce qui avantage la personnalité ou le journaliste pour se retrouver. Et ils pensent pas au fait qu’il va y avoir un photographe et qu’il a besoin d’un contexte, un lieu, de la place pour mettre ses flashes,etc, donc on est le parent pauvre du portrait, parce… qu’on a le droit à beaucoup moins de temps, et de plus en plus dans des lieux qui sont aseptisés… sans âme, c’est d’une tristesse absolue,et nous on se retrouve à se demander « qu’est ce que je vais faire avec ça? »

  • Moi j’ai besoin, pour un portrait, d’avoir le graphisme, la composition… ça appuie pour moi un lieu qui va pouvoir structurer un portrait. Une fois que j’ai un lieu avec mes flashes et la lumière, je sais que la personnalité quelle qu’elle soit, quel que soit le temps qui m’est accordé, et la bonne volonté ou pas de la personne, j’ai déjà des assises, une espèce de charpente qui vont m’aider.

  • C’est ça qui est riche dans la photographie, c’est que OK, oui au premier abord il se passe ça, on est dans tel lieu, et derrière on peut y voir du symbole, et moi ce qui me gène dans l’image fixe, c’est la possibilité du symbole.

  • Un portrait, c’est recréer une réalité spontanée que t’as pas quand tu dis à quelqu’un de poser. A part les acteurs très peu posent naturellement, tout le monde a l’air un peu gauche, donc on est obligé de créer des attitudes, des situations.

  • Le but c’est pas de les rendre moches ou de les rendre beaux, c’est les rendre eux, mais leur donner quand même un certain charisme, j’aime bien les portraits qui dégagent quelque chose d’assez fort.

  • Il y a des schemas où la femme doit sourire, être sympa. Ben non, t’es une femme politique, t’es dure, t’es dans l’arène, tes homologues mecs font pas des sourires mielleux, donc arrête ton sourire mielleux. C’est aussi presque féministe.

  • Souvent un portrait, c’est un combat, parce que toi tu veux quelque chose. Parfois je mets en place les gens, je les fais poser, je les dirige… c’est un peu des pantins pour moi, je suis un peu un sculpteur, je les façonne. Sauf qu’en face j’ai des personnes qui parfois se laissent faire totalement, parfois pas du tout. Et c’est là où s’engage le duel… eux ils ont le choix de dire non, et c’est là où se trouve cet entre deux qui va donner telle ou telle photo.

  • Quand je photographie des personnes pour la presse, je ne suis pas là au service de la personne que je photographie, son avis ne m’intéresse pas. Je suis là au service du journal, et je suis là au service d’une information.

  • Je capte le lectorat, après le lectorat lit l’article.

  • Je milite pour que dans la photographie politique en France, on arrête d’avoir des politiques qui posent de façon chiante.

  • C’est l’esprit français qui est parfois un peu chiant parce qu’on est contestataires, mais dans les deux sens, donc quoi qu’on fasse en fait on bouge pas. Et du coup, pour un photographe comme moi, je me retrouve avec des gens qui à la fois s’en foutent de la photographie, ils y connaissent rien, ils regardent pas leurs journaux, ça les intéresse pas, et en même temps ils sont totalement flippés à l’idée que la photo, y’a un mauvais pli, y’a un bouton qui est pas mis, mon dieu ça va faire scandale.

  • S’ils collaboraient, ça serait un échange et on pourrait arriver à des choses, ça changerait pas la face du monde, mais on arrêterait d’avoir une espèce de mise en scène d’eux-mêmes qui correspond pas à eux-mêmes en fait.

  • Le portrait, c’est un acte créatif, et quand on regarde les portraits dans l’histoire, ceux qui marquent, c’est des portraits qui ont modernisé d’une certaine manière, à la fois la photographie et à la fois les gens… Quand tu es photographe, quand tu es dans cette impulsion, t’as pas envie de refaire toujours le même portrait.

  • Je trouve que le livre, c’est l’aboutissement pour un travail photographique et pour un photographe, c’est ce qui va rester. Parce que là je cumule des disques durs, mais bon, quelle déprime. Donc aboutir à un livre, déjà c’est partager différemment,… c’est concret, ça va rester.

  • Je crois beaucoup en une recherche esthétique pour appuyer un message, un propos, une info. Je crois beaucoup à l’émotion, c’est à dire qu’on est dans une société envahie d’images, et une photo banale on va pas la voir. On peut dire que c’est malheureux parce que quelle que soit la photo, c’est le message derrière, mais ça reste de l’information et la photo est un outil de création. Si on appuie à un moment donné, si on choisit un angle et une focale et d’être tout net ou tout flou, ça a des raisons, c’est pas juste « tiens on informe ».

  • Au delà du sérieux de l’information validé par le fait d’être un professionnel, il y a aussi une lisibilité. La lisibilité d’une image elle passe par une efficacité, et cette efficacité elle passe par un cadrage, une lumière, un choix, un regard, un point de vue. Être photographe, de plus en plus, c’est vraiment avoir un regard sur les choses.

  • Une photo, c’est toujours la quintessence d’un moment… Ca permet aux gens de s’arrêter et de se dire « Ouah, qu’est ce que c’est que ce truc? », et ils lisent l’info. Et ils sont informés.

  • Les photos les plus fortes, au delà du message, sont les photos qui ont aussi une armature, un cadre, qui se tiennent… Bien sur que l’esthétique est fondamentale dans l’information.

  • Un livre, si on réfléchit en termes d’heures, c’est pas rentable.

  • Je suis un boulimique de l’image et d’activité, j’ai besoin de ça, j’ai besoin de produire.

  • Toute photographie est une opportunité pour bouger, rencontrer des gens, voyager, aller en bas de chez soi, nous faire ouvrir des portes, nous en faire fermer aussi, et puis pour raconter. Et encore je poste pas tout, je me dis « n’en mets pas trop, tu vas saouler les gens »

  • Je suis dans une profusion puisque ce que je fais ne me convenant pas, j’essaie de faire mieux, différent, de trouver autre chose, et j’aime les expériences, on me propose des choses, donc je suis ouvert à pas mal de choses du coup, et je mets de l’énergie là dedans.

  • Le photographe donne à voir une situation qui parfois peut être extraordinaire, donc c’est plus facile, mais souvent le sujet peut être banal, mais le photographe contribue à mettre en lumière des situations qui sont pas forcément simples, pas forcément lisibles, et c’est la richesse de ce métier, notre capacité… de voir différemment et de faire prendre conscience.

  • C’est la force des photographes d’être capable de faire surgir d’autres images à partir d’une photographie, ou tout un imaginaire.

  • Il y a la photographie documentaire qui est de montrer, témoigner, documenter, d’enregistrer en fait, à la fois pour le présent et le futur, parce que dans 50 ans, la photo va prendre une dimension historique.

  • Quand tu documentes, tu crées pas l’image, mais d’une certaine manière si parce que tu décides, par un point de vue, un angle, une lumière, de mettre en avant telle ou telle situation.

  • De plus en plus, je pars, je photographie, et puis après je regarde si ça intéresse la presse.

  • Si je suis convaincu que le sujet vaut la peine, je me lance à corps perdu, et dans ce métier il faut faire ça. C’est pas tout le temps facile et pas tout le temps possible, mais au mieux je me consacre à des sujets dont j’estime que ça vaut la peine que le message que j’ai envie de soutenir en le documentant, tout en restant journaliste, c’est à dire je cherche pas à… mettre en valeur, je cherche à raconter à peu près honnêtement ce qu’il se passe.

  • Une photo sans légende, c’est le meilleur moyen d’en faire une propagande… S’il n’y a pas de légende, chacun va faire sa légende, ce qui est pas tout le temps bienheureux. Ce qui est fascinant, c’est que la photographie est à la fois le meilleur vecteur d’un message et le pire propagandiste… tu peux faire croire avec la même image que tu recadres que l’ennemi c‘est l’ami et l’ami c’est l’ennemi. C’est dangereux en fait la photographie.

  • La photographie c’est une parcelle de réalité, mais c’est mensonger, c’est jamais la réalité. C’est une vision, une interprétation de la réalité, mais c’est jamais la réalité. C’est comme résumer l’entretien qu’on a en une seule phrase.

  • La photographie, c’est un peu la phrase d accroche, et derrière tu peux pas te contenter d’une image, il faut qu’il y ait la légende. La légende permet de donner un contexte: où, quand, qui, pourquoi, qui sont les protagonistes, et c’est pas non plus suffisant. Il faut en regarder plein, il faut lire les infos, les journaux, pas regarder la télé.

  • C’est dangereux la photographie, c’est la première chose qu’on utilise dans la propagande de dictature la photographie, soit qu’on interdit, c’est la photographie et l’info, soit qu’on utilise c’est l’image… C’est hyper dangereux, parce que tout le monde peut lire une image. Un texte de propagande, il faut que les gens sachent lire, que ce soit leur langue, et qu’ils passent du temps à le lire. Une photo… c’est universel.

  • Tu ne peux pas résumer une situation en une image.

  • Il faut s’enrichir de plein de choses, c’est comme si t’écoutais qu’une seule personne de ta vie, et elle te racontera peut-être une partie de la vérité… Si tu écoutes plein de gens, tu as des contradictions, ça se recoupe… il y a des potentialités que ça soit plutôt vrai.

  • Il faut toujours se méfier d’une image qui est d’aspect trop fascinant.

  • Je pense que le pire et le meilleur moment, ça peut se passer à une fraction de seconde près. Pour un photographe, le meilleur c’est parce que tu sens que tu vas avoir une image, et juste après c’est le pire parce que tu l’as pas eue.

DANS CET ÉPISODE, ON PARLE DE:

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A propos du Podcast:

Hôte: Julien Pasternak - Instagram - LinkedIn - Clubhouse

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Générique d'intro: Joakim Karud (https://soundcloud.com/joakimkarud) 

Générique de fin: Dyalla Swain (http://soundcloud.com/dyallas)

 
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